Cannabis et cancer
Quand la douleur n’est plus supportable
La douleur et les nausées lors des traitements anti-cancéreux peuvent devenir un vrai calvaire à supporter au quotidien. Tenter de les apaiser avec la boite à outils dont nous disposons en tant que praticien est parfois chose compliquée. A l’hôpital les morphiniques anesthésient parfaitement les corps, mais souvent au prix d’une torpeur abrutissante. Les antiémétiques soulagent un temps les nausées, mais leurs effets secondaires sont loin d’être anodins. La polymédication qui s’ajoute aux traitements engendre constipation, insomnies, syndrome dépressif… Pour certains de mes consultants, le recours au cannabis, parfois sous forme fumée, s’est imposé comme une alternative… souvent en dernier recours, pour atténuer ces maux. Jamais je n’ai pris l’initiative de conseiller la forme de fleurs à fumer. Je conseille éventuellement des huiles concentrées de CBD, car selon les personnes j’ai d’excellents résultats sur les nausées. Et nous n’avons pas de produits à base de THC à disposition légalement en France. Mais il n’est pas rare de débuter une séance de suivi avec une personne qui m’annonce d’emblée « J’avais tellement mal que j’ai fumé un peu de weed pour me calmer, les douleurs étaient insupportables » ou bien « Je n’avais jamais fumé de ma vie et les nausées étaient trop intenses, je fume quelques bouffées avant les repas pour me mettre en appétit et m’éviter de vomir ».
Cette réalité quotidienne n’est pas à négliger car elle existe ! Elle soulève des questions fondamentales sur la place du cannabis thérapeutique dans l’accompagnement des patients atteints de cancer, en France et ailleurs.
Le cadre législatif en France : une expérimentation en cours
En mars 2021, la France a lancé une expérimentation du cannabis médical (1), impliquant plusieurs milliers de patients souffrant de diverses pathologies, dont des symptômes liés au cancer ou aux traitements anticancéreux (souvent neuropathiques). Cette initiative vise à évaluer l’efficacité du cannabis thérapeutique dans le soulagement de douleurs rebelles et de nausées induites par la chimiothérapie. Les patients inclus dans le programme ont accès à des formes standardisées de cannabis uniquement disponibles dans les hôpitaux participants à l’expérimentation : huiles sublinguales, gélules, et vaporisation de fleurs séchées (2).
Les résultats de cette expérimentation, initialement prévue jusqu’en mars 2024, permettront de définir le cadre de sa possible généralisation (3). Pourtant, le retard français en la matière est criant face à d’autres pays qui ont, eux, déjà intégré le cannabis médical dans leur arsenal thérapeutique (4).
Cannabis et cancer : les avancées internationales
Israël, leader mondial du cannabis médical
Israël se distingue comme un pionnier dans l’utilisation du cannabis médical. Des recherches menées au Technion Israel Institute of Technology ont exploré le potentiel thérapeutique des cannabinoïdes dans le traitement du cancer. Ces études ont mis en évidence que certaines combinaisons de cannabinoïdes, en particulier le THC (tétrahydrocannabinol) et le CBD (cannabidiol), pourraient non seulement atténuer la douleur et les nausées mais aussi inhiber la croissance de cellules cancéreuses (5).
Israël a légalisé l’usage du cannabis médical dès 1992 et propose aujourd’hui une large gamme de produits adaptés aux besoins des patients : fleurs séchées, huiles, sprays, comprimés sublinguaux et même crèmes pour application locale.
États-Unis : un accès élargi mais inégal
Aux États-Unis, plusieurs États ont légalisé l’usage médical du cannabis depuis les années 1990. La Californie fut le premier État à autoriser son usage en 1996, permettant aux patients atteints de maladies graves, y compris le cancer, d’accéder à cette option thérapeutique.
Aujourd’hui, 38 États autorisent le cannabis médical sous différentes formes, puisque la plupart ont légalisé la production et la vente (6). Les patients américains peuvent ainsi choisir entre diverses galéniques : gélules à libération prolongée, patchs transdermiques, inhalateurs de vapeurs, huiles sublinguales et edibles (gélifiés, biscuits, boissons infusées). Ces différentes formes permettent d’adapter le traitement aux besoins du patient : une huile sublinguale pour un effet rapide contre une crise de nausée, une gélule à libération prolongée pour gérer la douleur chronique.
Cannabis et cancer : des indications précises
Je vous renvoie ici à PubMed et les centaines d’articles et études incluant le cannabis dans la gestion des douleurs cancéreuses et autres troubles liés aux traitements. Quelques-uns figurent en références de cet article (7) (8) (9) (10) (11). Le cannabis thérapeutique est particulièrement utile pour :
- Les douleurs chroniques : en particulier celles résistantes aux opioïdes ou associées à une neuropathie.
- Les nausées et vomissements liés à la chimiothérapie.
- La perte d’appétit et la cachexie : le cannabis stimule l’appétit et aide à limiter la fonte musculaire.
- L’anxiété et les troubles du sommeil, fréquents chez les patients en oncologie.
En France, malgré l’expérimentation en cours, l’avenir du cannabis thérapeutique demeure incertain. La législation actuelle considère toujours le cannabis comme un stupéfiant, et son accès est sévèrement encadré. Seuls les patients inclus dans l’expérimentation peuvent en bénéficier légalement. Pour les autres, l’accès passe soit par l’automédication illégale, soit par l’achat de CBD, moins controversé mais également moins efficace dans les cas de douleurs sévères.
Notre gouvernement semble d’ailleurs faire machine arrière sur cette expérimentation, soulignant les nombreuses incertitudes et appellant à une clarification des politiques publiques. Pourtant, les patients n’attendent pas. Certains, désespérés, se résolvent à cultiver eux-mêmes leur cannabis ou à l’acheter sur le marché noir, avec tous les risques que cela implique en termes de qualité et de contrôle des dosages.
Cannabis et cancer : vers une médecine plus inclusive ?
Aujourd’hui, je le vois au quotidien : l’intégration du cannabis dans les protocoles de soins en oncologie représente bien plus qu’une simple alternative médicamenteuse. C’est la possibilité, pour des patients épuisés par des traitements lourds, de retrouver un peu de confort, un peu d’apaisement, là où la médecine conventionnelle atteint parfois ses limites. C’est un enjeu qui dépasse la seule dimension pharmacologique : il touche à la dignité, à l’autonomie des malades, à leur droit à une prise en charge adaptée à leurs souffrances réelles plutôt qu’à des dogmes figés.
Les expériences menées à l’étranger illustrent le potentiel immense de cette approche. Aux États-Unis, en Israël, au Canada…, des patients ont aujourd’hui accès à des traitements à base de cannabis dans un cadre légal et médicalisé, leur permettant de soulager douleurs chroniques, nausées, insomnies et anxiété, avec des produits contrôlés, des dosages précis, et un accompagnement professionnel ! Ces pays ont su dépasser les tabous et poser un regard pragmatique sur cette plante, en reconnaissant qu’elle pouvait, dans certains cas, être la meilleure réponse aux souffrances des patients.
La France, elle, hésite encore. L’expérimentation en cours (prolongée jusqu’à fin 2024) pourrait ouvrir la voie à une adoption plus large, à condition de surmonter les freins législatifs et sociétaux qui entravent son développement. Mais au-delà de la réglementation, c’est un véritable débat de société qui se joue ici. Pourquoi tant de résistances ? Pourquoi ce rejet viscéral d’une solution qui a déjà fait ses preuves ailleurs ? La peur d’un glissement vers un usage récréatif ? Un attachement rigide à un modèle médical ultra-codifié où toute approche non conventionnelle est immédiatement suspecte ?
La médecine de demain ne peut se permettre d’être figée dans ses certitudes. Elle doit être pragmatique, humaine, et capable d’évoluer en fonction des besoins réels des patients. Refuser le cannabis thérapeutique, c’est parfois condamner certains malades à souffrir inutilement, alors qu’une alternative existe. C’est leur imposer des traitements lourds sans leur offrir tous les outils possibles pour mieux les supporter.
Avez-vous déjà vu souffrir des personnes que vous aimez ? N’avez-vous pas tout tenté pour les soulager ?
L’enjeu est donc bien plus vaste qu’une simple question de réglementation : il interroge notre rapport à la souffrance, notre capacité à remettre en question nos schémas établis, et notre volonté d’adopter une médecine qui place le patient au centre des décisions.
Pour rappel : je ne suis ni médecin, ni pharmacien. Cet article n’est pas une incitation à l’usage du cannabis récréatif, mais bien une réflexion ouverte quant à l’avenir d’une thérapeutique naturelle dans un cadre de souffrance extrême. Un conseil en herboristerie ou naturopathie ne remplacera jamais un avis médical. Ne suivez jamais les conseils d’un praticien vous recommandant d’arrêter vos traitements.
Vous pouvez télécharger mon PDF gratuit sur l’accompagnement en cancérologie ici.
Références cannabis et cancer
(1) Dossier thématique – Mise en place de l’expérimentation du cann – ANSM
(2) Vidéo | Facebook – cannabis et cancer, l’expérimentation au CHU de Besançon
(3) Dispositif médical -Cannabis thérapeutique : l’expérimentation est prolongée | Service-Public.fr
(4) Cannabis médical — Wikipédia
(5) Dedi Meiri Medical Frontiers of Cannabis Technion
(6) Cannabis aux États-Unis — Wikipédia
(7) Meng H, Dai T, Hanlon JG, Downar J, Alibhai SMH, Clarke H. Cannabis and cannabinoids in cancer pain management. Curr Opin Support Palliat Care. 2020 Jun;14(2):87-93. doi: 10.1097/SPC.0000000000000493. PMID: 32332209.
(8) Aviram J, Samuelly-Leichtag G. Efficacy of Cannabis-Based Medicines for Pain Management: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Pain Physician. 2017 Sep;20(6):E755-E796. PMID: 28934780.
(9) Legare CA, Raup-Konsavage WM, Vrana KE. Therapeutic Potential of Cannabis, Cannabidiol, and Cannabinoid-Based Pharmaceuticals. 2022;107(3-4):131-149. doi: 10.1159/000521683. Epub 2022 Jan 28. PMID: 35093949.
(10) Fraguas-Sánchez AI, Torres-Suárez AI. Medical Use of Cannabinoids. Drugs. 2018 Nov;78(16):1665-1703. doi: 10.1007/s40265-018-0996-1. PMID: 30374797.
(11) Abrams DI, Guzman M. Cannabis in cancer care. Clin Pharmacol Ther. 2015 Jun;97(6):575-86. doi: 10.1002/cpt.108. Epub 2015 Apr 17. PMID: 25777363

