Jeûne et cancer

Les données de la Science

Associer jeûne et cancer, c’est s’aventurer sur un terrain miné. Longtemps décrié, souvent mal compris, il suscite des débats enflammés. Pourtant, ces dernières années, les recherches et les discussions autour du jeûne ont pris un tournant fascinant. Les recommandations officielles, comme celles du rapport NACRe de 2017 (1), restent sceptiques, mais elles accusent aujourd’hui un sérieux retard face aux avancées scientifiques et aux retours du terrain.

Dans les cabinets médicaux, les avis divergent. Une majorité d’oncologues préfère ne pas s’y risquer, invoquant les dangers potentiels, notamment en cas de dénutrition. Mais une minorité éclairée s’intéresse aux bénéfices possibles, évaluant avec discernement les risques et les opportunités. C’est d’ailleurs en suivant la formation en oncologie intégrative du Dr Jean-Loup Mouysset, dispensée par les laboratoires Therascience, que j’ai décidé d’écrire cet article. Les données partagées lors de ce programme m’ont convaincue de la nécessité de discuter de ce sujet complexe et en pleine mutation.

Mon intérêt pour le jeûne ne date pas d’hier. Il y a environ dix ans, un reportage sur Arte m’avait déjà interpellée en montrant les résultats impressionnants du jeûne thérapeutique encadré : régressions de maladies chroniques, inflammatoires, voire cancers, au sein d’instituts spécialisés à l’étranger. Ces témoignages m’ont marquée, tout comme la méthodologie stricte qui contrastait avec l’approche médicale française, encore frileuse à l’idée d’intégrer ces pratiques.

Aujourd’hui, mon objectif est de vous présenter les avancées les plus récentes sur le jeûne en oncologie, en me concentrant sur une pratique spécifique : le jeûne intermittent de 24 heures avant une chimiothérapie. Bien conduit, il offre des perspectives prometteuses : amélioration de la tolérance aux traitements, augmentation de leur efficacité et diminution des effets secondaires. Ce n’est pas un remède miracle, mais une stratégie qui mérite qu’on s’y attarde avec rigueur et ouverture d’esprit.

Du rapport NACRe de 2017 aux études JNCI de juin 2023 

Le rapport du réseau NACRe publié en 2017 dresse un état des lieux des connaissances scientifiques sur le jeûne et les régimes restrictifs en lien avec le cancer. Malgré l’analyse de plus de 500 articles et une exploration socio-anthropologique approfondie, il met en évidence le manque de preuves solides concernant les effets du jeûne sur la prévention et la prise en charge du cancer. Les données, issues principalement d’études animales ou limitées en contexte clinique, sont jugées insuffisantes pour formuler des recommandations claires. Ce constat souligne le caractère controversé du sujet, encore peu validé scientifiquement, et met en lumière la nécessité d’avancées significatives dans la recherche biomédicale et socio-anthropologique.

Une préoccupation majeure concernant l’utilisation du jeûne intermittent chez les patients atteints de cancer est qu’il entraîne souvent une restriction calorique, ce qui peut aggraver les risques de malnutrition, de cachexie ou de sarcopénie, déjà fréquents dans cette population.

C’est pourquoi tout jeûne doit impérativement être supervisé par un professionnel de santé. Cet article n’a en aucun cas pour vocation d’encourager une pratique improvisée ou non encadrée.

Néanmoins, un nombre grandissant de récentes études vient clairement contredire ce rapport de 2017, avec à la clé la revue du JNCI des Universités d’Oxford datant de juin 2023 et s’intitulant « Intermittent fasting interventions to leverage metabolic and circadian mechanisms for cancer treatment and supportive care outcomes » (2) qui met en lumière les bénéfices possibles du jeûne en tant que soin de support.

Cette étude explore les effets positifs du jeûne intermittent chez les patients atteints de cancer, notamment en examinant les mécanismes métaboliques et circadiens qui sous-tendent ses bénéfices. Voici les principaux effets positifs relevés :

  1. Amélioration des résultats cliniques : le jeûne intermittent semble offrir des avantages pour la gestion des symptômes et des résultats cliniques des patients atteints de cancer.
  2. Effets métaboliques bénéfiques : il pourrait avoir un impact positif sur le métabolisme, favorisant un meilleur équilibre énergétique et la gestion de la prise alimentaire pendant les traitements.
  3. Réduction de la toxicité des traitements : bien que des données supplémentaires soient nécessaires, le jeûne intermittent pourrait atténuer les effets secondaires des traitements anticancéreux en réduisant leur toxicité.
  4. Sensibilisation des cellules cancéreuses aux traitements : il est suggéré que le jeûne intermittent pourrait rendre les cellules cancéreuses plus sensibles aux traitements, ce qui pourrait augmenter leur efficacité.

Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour confirmer ces résultats et évaluer l’intégration du jeûne intermittent en pratique clinique, cette étude met en lumière des pistes très intéressantes !

Jeûne et cancer
Schéma de l'article illustrant l'action systémique du jeûn

Jeûne et cancer : les bénéfices dans la recherche préclinique depuis 2020

D’autres recherches récentes (3) montrent que le jeûne périodique, ou un régime imitant le jeûne, peut améliorer l’efficacité des traitements hormonaux dans le cancer du sein hormonodépendant. Chez les souris, ces approches réduisent les niveaux d’IGF1, d’insuline et de leptine, inhibent des voies de signalisation clés comme AKT-mTOR, et renforcent l’action de médicaments comme le tamoxifène et le fulvestrant. En combinant fulvestrant et palbociclib, des cycles de régime imitant le jeûne induisent une régression tumorale durable et surmontent la résistance acquise aux traitements.

Chez les patientes, des effets métaboliques similaires ont été observés, avec une baisse prolongée des marqueurs comme l’insuline et l’IGF1. Ces résultats préliminaires suggèrent que ces approches pourraient devenir des adjuvants prometteurs aux traitements hormonaux et justifient des études cliniques approfondies.

D’autres études (4) montrent que le jeûne peut protéger contre la toxicité des chimiothérapies, grâce à des mécanismes biologiques spécifiques. Chez les humains et les souris, le jeûne modifie la composition lipidique des membranes des globules rouges et réduit l’expression des gènes liés à la signalisation de l’insuline dans certaines cellules immunitaires.

Chez les souris, un jeûne avant et après l’administration de chimiothérapies comme l’oxaliplatine ou la doxorubicine a permis une protection significative des tissus contre les effets secondaires. De plus, ces mécanismes ont conduit à l’identification de biomarqueurs pouvant prédire la protection offerte par le jeûne contre la toxicité des traitements. Ces résultats prometteurs ouvrent la voie à une utilisation encadrée du jeûne pour limiter les effets indésirables des chimiothérapies.

Pour aller encore plus loin je vous présente un dernier article qui concerne l’immunothérapie cette fois (5). Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, utilisés pour traiter certains cancers, peuvent provoquer des effets secondaires graves, notamment des troubles endocriniens ou des problèmes cardiaques. Cependant, une approche intéressante est en train de se développer : les cycles de régime imitant le jeûne (FMD). Ces régimes, qui simulent les effets du jeûne sans impliquer une privation totale de nourriture, semblent non seulement améliorer l’efficacité des traitements contre le cancer, comme l’immunothérapie, mais aussi réduire leurs effets indésirables.

Dans des études sur des souris, les cycles de FMD, seuls ou associés à des traitements immunothérapeutiques (anti-OX40/anti-PD-L1), ont montré des résultats beaucoup plus prometteurs pour freiner la croissance des tumeurs, notamment du mélanome et du cancer du poumon. En plus, ces cycles ont aidé à protéger le cœur des effets secondaires cardiaques causés par ces traitements, réduisant l’inflammation et le stress oxydatif dans le cœur.

En résumé, l’utilisation de ces régimes imitant le jeûne pourrait offrir un double bénéfice : renforcer l’efficacité des traitements contre le cancer tout en limitant certains de leurs effets secondaires graves. C’est une piste de recherche passionnante qui pourrait bien changer la façon dont on traite certains cancers à l’avenir.

Jeûne et cancer : 24h avant la chimiothérapie et 24h après

Les avancées observées dans ce domaine sont véritablement prometteuses. En effet, les résultats des recherches actuelles suggèrent que le jeûne pourrait non seulement augmenter de manière significative l’efficacité des traitements contre le cancer, mais aussi réduire les effets secondaires graves, voire létaux, associés à ces traitements. De plus, il semble capable de renverser les résistances développées par certaines tumeurs face aux thérapies, un phénomène souvent difficile à contrer. Ce mécanisme de protection et d’optimisation des traitements pourrait également jouer un rôle clé dans la diminution des rechutes, et offrir ainsi de nouvelles perspectives pour améliorer les résultats à long terme des patients.

Le jeûne intermittent, en résumé, agit comme un « bouclier » pour les cellules saines et rend les cellules cancéreuses plus vulnérables à l’effet de la chimiothérapie. En jeûnant, notre corps entre dans un état de « repos » pour ses cellules, en particulier les globules rouges, qui sont moins sollicités pendant le traitement de chimiothérapie (7).

Concrètement, après 24 heures de jeûne, le corps a épuisé ses réserves de sucre stockées dans les muscles et le foie (7). À partir de ce moment, le métabolisme ralentit parce qu’il n’a plus de sucre à utiliser comme source d’énergie. Pour compenser ce manque, il commence à transformer les graisses du corps en sucre. Ce processus permet au corps de « mettre au repos » ses cellules saines, tout en créant un environnement où les cellules cancéreuses, elles, ne bénéficient pas de ce même mécanisme de protection et deviennent plus sensibles aux effets de la chimiothérapie.

Ces études sur des animaux et ces essais cliniques sur des patients ont donc montré que jeûner avant ou pendant la chimiothérapie peut réduire les effets secondaires (6), tout en maintenant, voire en augmentant, l’efficacité du traitement. Ces résultats ouvrent la voie à des traitements innovants où le jeûne pourrait soutenir la chimiothérapie, en protégeant les cellules saines tout en permettant une meilleure gestion des effets secondaires.

De mon côté, même si je n’appartiens pas au corps médical (et que je n’ai pas le droit de donner un avis médical !), je constate au quotidien, dans mes accompagnements, des résultats significatifs. Lorsque l’oncologue accepte que le jeûne intermittent soit pratiqué avant les traitements, les personnes semblent mieux réagir. Les effets secondaires, souvent redoutés, sont nettement réduits, voire inexistants. Les nausées et vomissements, si fréquents lors de la chimiothérapie, sont soit considérablement atténués, soit totalement absents. La fatigue et le brouillard mental, également, sont moins intenses, et les douleurs ostéo-articulaires diminuent de manière sensible. Ces observations, bien qu’anecdotiques, sont en parfaite cohérence avec les recherches émergentes sur les bienfaits du jeûne dans le cadre des traitements anticancéreux.

Je tiens à préciser que ce sont les personnes que j’accompagne qui choisissent librement de pratiquer ou non le jeûne intermittent, et que je ne leur impose en aucun cas cette approche.

Vous pouvez télécharger mon PDF gratuit sur l’accompagnement en cancérologie ici.

Pour lire plus d’articles sur l’oncologie intégrative, rendez-vous ici.

Pour rappel : je ne suis ni médecin, ni pharmacien. Un conseil en naturopathie ou phytothérapie ne remplace pas un avis médical. Ces données sont transmises à titre informatif.

Jeûne et Cancer

Références

(1) Rapport NACRe jeûne regimes restrictifs cancer 2017

(2) Kalam F, James DL, Li YR, Coleman MF, Kiesel VA, Cespedes Feliciano EM, Hursting SD, Sears DD, Kleckner AS. Intermittent fasting interventions to leverage metabolic and circadian mechanisms for cancer treatment and supportive care outcomes. J Natl Cancer Inst Monogr. 2023 May 4;2023(61):84-103. doi: 10.1093/jncimonographs/lgad008. PMID: 37139971; PMCID: PMC10157769.

(3) Caffa I, Spagnolo V, Vernieri C, Valdemarin F, Becherini P, Wei M, Brandhorst S, Zucal C, Driehuis E, Ferrando L, Piacente F, Tagliafico A, Cilli M, Mastracci L, Vellone VG, Piazza S, Cremonini AL, Gradaschi R, Mantero C, Passalacqua M, Ballestrero A, Zoppoli G, Cea M, Arrighi A, Odetti P, Monacelli F, Salvadori G, Cortellino S, Clevers H, De Braud F, Sukkar SG, Provenzani A, Longo VD, Nencioni A. Fasting-mimicking diet and hormone therapy induce breast cancer regression. Nature. 2020 Jul;583(7817):620-624. doi: 10.1038/s41586-020-2502-7. Epub 2020 Jul 15. Erratum in: Nature. 2020 Dec;588(7839):E33. doi: 10.1038/s41586-020-2957-6. PMID: 32669709; PMCID: PMC7881940.

(4) Barradas M, Plaza A, Colmenarejo G, Lázaro I, Costa-Machado LF, Martín-Hernández R, Micó V, López-Aceituno JL, Herranz J, Pantoja C, Tejero H, Diaz-Ruiz A, Al-Shahrour F, Daimiel L, Loria-Kohen V, Ramirez de Molina A, Efeyan A, Serrano M, Pozo OJ, Sala-Vila A, Fernandez-Marcos PJ. Fatty acids homeostasis during fasting predicts protection from chemotherapy toxicity. Nat Commun. 2022 Sep 27;13(1):5677. doi: 10.1038/s41467-022-33352-3. PMID: 36167809; PMCID: PMC9515185.

(5) Cortellino S, Quagliariello V, Delfanti G, Blaževitš O, Chiodoni C, Maurea N, Di Mauro A, Tatangelo F, Pisati F, Shmahala A, Lazzeri S, Spagnolo V, Visco E, Tripodo C, Casorati G, Dellabona P, Longo VD. Fasting mimicking diet in mice delays cancer growth and reduces immunotherapy-associated cardiovascular and systemic side effects. Nat Commun. 2023 Sep 8;14(1):5529. doi: 10.1038/s41467-023-41066-3. PMID: 37684243; PMCID: PMC10491752.

(6) Raffaghello L, Safdie F, Bianchi G, Dorff T, Fontana L, Longo VD. Fasting and differential chemotherapy protection in patients. Cell Cycle. 2010 Nov 15;9(22):4474-6. doi: 10.4161/cc.9.22.13954. Epub 2010 Nov 15. PMID: 21088487; PMCID: PMC3048045.

(7) Jean-Loup Mouysset (Dr), »Les phases de production de glucose et les conséquences sur le jeûne » pp454-457, Oncologie intégrative. Du cancer vers la santé. Bases pour une approche non médicamenteuse en complément des traitements conventionnels du cancer, Editions Dangles, 2023.