Le régime cétogène en cas de cancer
Entre soutien, stratégie métabolique et choix de terrain
Le mot “cétogène” revient souvent dans les échanges autour du cancer. On en parle beaucoup, parfois sans vraiment savoir ce qu’il recouvre. Certains en attendent des effets spectaculaires, d’autres s’en méfient. Entre les deux, il y a simplement une approche nutritionnelle qui interroge : que se passe-t-il quand on modifie profondément la source d’énergie du corps ?
De plus en plus de personnes choisissent d’expérimenter ce mode alimentaire pendant ou après les traitements, avec des résultats très variables. Certaines décrivent une meilleure stabilité énergétique, une digestion plus calme, ou un sommeil plus réparateur. D’autres peinent à le mettre en place (car c’est très difficile !) ou ne s’y retrouvent pas.
Le régime cétogène n’est donc pas une méthode à appliquer uniformément, mais un outil métabolique qui mérite d’être compris avant d’être jugé.
Il ne s’agit pas de guérir par l’alimentation, mais de soutenir un terrain, ou d’explorer une autre voie pour accompagner le corps différemment. De lui permettre, parfois, de retrouver un peu de cohérence dans sa manière de fonctionner. C’est souvent là que commence le vrai travail : dans la compréhension des processus.
Avant de se prononcer sur l’intérêt et les limites du régime cétogène, il me semble essentiel d’en comprendre les bases physiologiques. Ce n’est pas un régime de mode, ni une diète de plus sur la longue liste des tendances nutritionnelles. C’est une réponse métabolique précise, qui modifie la façon dont le corps produit et utilise son énergie. Comprendre ce mécanisme, c’est comprendre son potentiel en cas de cancer, mais aussi ses limites.
Mes recherches bibliographiques m’ont amenée très loin dans la reflexion, et la vulgarisation que je propose ici ne rendra pas justice au mécanisme complet de ce regime. Je vous invite donc à lire vous-mêmes les ouvrages (1) (2) et articles cités plus bas, afin de vous faire votre propre avis et d’en discuter éventuellement avec votre oncologue. Je vous invite également à écouter l’interview du Dr Dagostino, grand spécialiste américain du régime cétogène ici (en anglais) (3).
Comprendre le principe avant de juger
Le régime cétogène repose sur une idée simple, mais qui bouleverse nos repères habituels : modifier la source d’énergie du corps. En temps normal, nos cellules utilisent le glucose (issu des glucides alimentaires) comme principal carburant. Cette voie est rapide et efficace, mais elle rend l’organisme dépendant d’un apport régulier en sucre. Lorsque l’on réduit fortement les glucides (souvent en dessous de 30 à 50 g par jour), le foie se met à produire des corps cétoniques à partir des graisses. Ce basculement s’appelle la cétose.
Dans cet état, le corps apprend à fonctionner différemment. Les cellules saines, dotées de mitochondries performantes, peuvent utiliser ces corps cétoniques (acétoacétate, bêta-hydroxybutyrate) comme source d’énergie stable et “propre”. Cette adaptation métabolique est naturelle : elle reproduit le fonctionnement du corps en période de jeûne, quand le glucose devient rare.
Les cellules cancéreuses, en revanche, n’ont pas la même souplesse. La plupart d’entre elles présentent une altération de leurs mitochondries (les centrales énergétiques internes) et dépendent presque exclusivement du glucose (mais aussi de l’angiogénèse) pour produire leur énergie, via un processus appelé glycolyse anaérobie. Même en présence d’oxygène, elles continuent à fermenter le glucose, générant de l’acide lactique : c’est ce qu’on appelle l’effet Warburg, décrit par le biologiste Otto Warburg dans les années 1930.
Cette particularité métabolique a plusieurs conséquences. D’une part, la cellule cancéreuse consomme énormément de sucre : jusqu’à 10 fois plus qu’une cellule saine. D’autre part, elle exploite mal les graisses et ne sait pas utiliser efficacement les corps cétoniques.
Autrement dit: si l’on diminue drastiquement la disponibilité du glucose dans le sang, on prive ces cellules de leur principal carburant, sans pour autant affaiblir les cellules saines qui, elles, continuent à fonctionner grâce aux cétones.
Le régime cétogène exploite donc cette différence métabolique. Il ne détruit pas la cellule cancéreuse directement, mais il modifie son environnement : moins de glucose circulant, moins d’insuline (hormone de croissance cellulaire), moins de signaux inflammatoires. Ce changement de terrain rend les cellules tumorales plus vulnérables et ralentit leur prolifération.
Il ne s’agit pas d’une approche mystique ni d’une théorie alternative. C’est une réalité biochimique documentée, que la recherche explore de plus en plus sérieusement depuis une vingtaine d’années. Et si le régime cétogène ne remplace pas un traitement, il pourrait, dans certains contextes, aider à le rendre plus efficace en tant que soin de support en rendant l’organisme plus stable, et la cellule cancéreuse, moins à l’aise dans son milieu énergétique.
Pendant les traitements : un soutien métabolique et clinique souvent sous-estimé
Au-delà du potentiel anticancéreux, le régime cétogène a toute sa place pendant les traitements, comme soin de support. Les bénéfices observés sont multiples, concrets, et souvent rapides à percevoir. Je précise ici : je garde une posture d’information = ce n’est pas un conseil, c’est une synthèse des mécanismes, des observations cliniques publiées et des limites connues ! Je n’invente rien, je me base sur la bibliographie fournie en fin d’article.
1) Diminution de la fatigue : pourquoi et comment
La cétose réduit les variations glycémiques post-prandiales (après-repas) et stabilise l’apport énergétique disponible pour les tissus. Les corps cétoniques (β-hydroxybutyrate, acétoacétate) fournissent une source d’énergie continue, moins sujette aux « pics et creux » liés aux repas riches en glucides. Sur le plan biochimique, cela réduit les sollicitations hyperinsulinémiques et les oscillations métaboliques qui favorisent la sensation de lassitude.
Des personnes en cours de traitement rapportent souvent, dans les premières semaines, une sensation d’énergie plus régulière et moins d’épuisement récurrent après les repas. Certaines études cliniques et revues notent une amélioration de la fatigue et de la qualité de vie liée à une réduction des apports glucidiques et à l’induction d’une cétose (4).
Mais attention l’effet n’est pas universel : l’adaptation initiale peut provoquer une baisse d’énergie transitoire (« keto-flu »). Chez des personnes déjà en perte de poids ou en état de dénutrition/cacexie, une réduction calorique ou une mauvaise mise en place peut aggraver l’affaiblissement. Il faut donc évaluer l’état nutritionnel et adapter l’apport calorique et protéique.
2) Protection du système nerveux et « chemo brain » : preuves et mécanismes
Les corps cétoniques sont des substrats énergétiques utilisables par le cerveau et ont des propriétés métaboliques et signalétiques (amélioration de la fonction mitochondriale, réduction du stress oxydatif, modulation des neurotransmetteurs). β-hydroxybutyrate a aussi des effets d’agent signal (anti-inflammatoires et épigénétiques) qui contribuent à une meilleure résilience neuronale (5).
Ce qu’on observe assez rapidement: amélioration subjective de la « clarté mentale », de la concentration et de la fatigue cognitive chez certaines personnes en traitement. Ces effets sont plausibles biologiquement et documentés dans d’autres contextes (épilepsie, maladies neurodégénératives), d’où l’intérêt d’explorer leur traduction chez les personnes traitées pour un cancer.
Néanmoins les études directes sur le « chemo brain » restent limitées : la plupart des données sont précliniques ou issues d’autres pathologies neurologiques. Il est donc raisonnable d’évoquer une possibilité d’amélioration plutôt qu’une certitude. Un examen neuropsychologique et un suivi restent nécessaires pour évaluer l’effet individuel.
3) Réduction de l’inflammation : mécanismes, observations et nuances
La réduction de l’apport glucidique et la montée des cétones s’accompagnent souvent d’une baisse de l’insulinémie et d’une modulation des voies de signalisation pro-inflammatoires (NF-κB, cytokines). Les corps cétoniques, en particulier β-hydroxybutyrate, exercent aussi un effet anti-inflammatoire direct via des actions métaboliques et épigénétiques. Ces changements peuvent réduire l’inflammation systémique et locale (4).
On observe donc une diminution de marqueurs inflammatoires (dans certaines études) et une meilleure récupération tissulaire (moindre douleur inflammatoire, moins d’œdème péri-tumoral ou post-radiothérapie dans des séries précliniques/clinico-observations).
Quelques limites néanmoins: les réponses sont hétérogènes : tout le monde ne voit pas une baisse nette des marqueurs inflammatoires. Les effets dépendent de la formulation du régime (qualité des graisses), de l’état métabolique initial, et de la durée. Les résultats cliniques solides sur grande échelle manquent encore.
4) Moins d’effets secondaires digestifs : fondements et réalité pratique
Une faible consommation de glucides simples limite les substrats fermentescibles pour la flore intestinale, ce qui peut réduire ballonnements, gaz et fermentation excessive. De plus, l’apport gras modulé et une protéine adaptée peuvent stabiliser le transit.
Dans la pratique, on observe que certaines personnes rapportent moins de diarrhée ou de ballonnements induits par la chimiothérapie, et une meilleure tolérance alimentaire. Dans des contextes de toxicité digestive importante, la simplification et la régulation des apports peuvent aider.
Mais le régime cétogène peut aussi entraîner constipation, modifications du microbiote (pas nécessairement toutes positives) et risque de déséquilibres si les fibres et micronutriments ne sont pas correctement apportés. La qualité des graisses et la présence de fibres fermentescibles adaptées restent clés.
5) Stabilisation du poids et préservation de la masse musculaire (sarcopénie)
En limitant les pics d’insuline et en maintenant un apport protéique adapté, le cétogène peut favoriser l’utilisation des graisses tout en protégeant la masse maigre via un effet anticatabolique relatif : la cétose elle-même a des effets de préservation protéique comparables au jeûne modéré. Des études animales et humaines suggèrent que, bien conduites, des stratégies basées sur des régimes faibles en glucides peuvent limiter la perte musculaire (6).
Certains essais et séries rapportent une meilleure composition corporelle (préservation de la masse maigre) ou au moins l’absence d’une perte musculaire plus forte qu’avec d’autres régimes. Mais globalement les résultats sont variables : d’autres études montrent une légère perte de masse maigre si l’apport protéique ou calorique n’est pas ajusté. Chez une personne déjà en état de dénutrition/cacexie, le risque principal est l’aggravation de la perte de poids, d’où l’importance d’un suivi nutritionnel, de bilans réguliers et d’une intervention précoce (apports protéiques, réhabilitation nutritionnelle, exercice).
6) Tolérance au jeûne thérapeutique et synergies avec la chimiothérapie
Le jeûne court ou le « fasting-mimicking » réduit IGF-1 et insuline, induit des mécanismes de protection dans les cellules normales (qu’on appelle « résistance différentielle au stress ») tout en laissant les cellules tumorales vulnérables. La cétose facilite l’adaptation métabolique au jeûne et peut rendre ce dernier mieux toléré. Des études montrent que le jeûne ou les FMD (fasting-mimicking diet) peuvent réduire certains effets toxiques de la chimiothérapie. (7)
On observe donc une amélioration de la tolérance, parfois moins d’effets secondaires de la chimiothérapie, et – dans certains modèles précliniques – un meilleur effet anticancéreux quand on combine jeûne/cétose et traitement.
Mais bon, les données humaines sont encore limitées et souvent issues de petites séries ou d’études pilotes. Le jeûne n’est pas adapté à tout le monde (risque chez les personnes dénutries, diabétiques insulinodépendants, etc.). Toute expérimentation de jeûne associé aux traitements doit être médicalement encadrée.
7) Amélioration du sommeil et de l’humeur : éléments physiologiques et retours
La cétose influence le métabolisme neuronal et la neurochimie (GABA, glutamate, sérotonine) et peut réduire l’inflammation systémique, deux facteurs connus pour impacter le sommeil et l’humeur. Une glycémie plus stable réduit les réveils nocturnes liés aux hypoglycémies réactionnelles (8). Certaines personnes rapportent un sommeil plus réparateur et une humeur plus stable ; cela contribue à une meilleure qualité de vie globale pendant les traitements. Mais les effets restent subjectifs et variables ; l’adaptation initiale peut temporairement perturber le sommeil. Si des troubles anxieux ou dépressifs sévères existent, l’accompagnement psychologique reste central.
Récapitulatif des preuves et des limites générales (à garder en tête)
- Les mécanismes biochimiques (stabilité glycémique, cétose comme source d’énergie alternative, modulation inflammatoire et mitochondriale) sont bien décrits et offrent une base physiologique solide pour expliquer les bénéfices observés (4).
- Plusieurs effets rapportés (réduction de la fatigue, amélioration cognitive, meilleure tolérance au traitement, préservation musculaire) sont plausibles et soutenus par des études précliniques, des séries cliniques et des revues (8).
- Les preuves cliniques randomisées et de grande ampleur manquent encore pour apporter des recommandations universelles ; la littérature est hétérogène (taille d’échantillons, types de régime cétogène, cancers étudiés).
- Certaines tumeurs peuvent s’adapter et utiliser des cétones comme carburant : ce n’est pas uniforme entre tous les cancers. Dans quelques cas expérimentaux, l’utilisation de cétones peut soutenir la croissance métastatique ; cette réalité impose prudence et individualisation (9). Je développe ce point particulier plus bas.
- Risques et effets indésirables possibles : exacerbation d’une dénutrition si le régime n’est pas adapté, troubles digestifs (constipation), déséquilibres lipidiques chez certaines personnes, lithiase rénale possible, interactions métaboliques chez les personnes atteintes d’insuffisance rénale ou de certaines maladies métaboliques. Le suivi clinique et biologique est indispensable (10).
Le potentiel anticancéreux : changer le terrain, pas seulement combattre la tumeur
Là où le régime cétogène devient réellement intéressant, c’est lorsqu’on sort du simple rôle de “soutien nutritionnel” pour le considérer comme une approche métabolique à part entière.
Le cancer n’est pas un corps étranger qu’il suffirait d’éradiquer. C’est une dérive du vivant, une cellule qui s’est affranchie des règles communes, souvent dans un terrain déjà affaibli : stress oxydatif chronique, inflammation silencieuse, glycémie instable, dérèglements hormonaux, excès d’insuline.
Or, le métabolisme cétogène agit précisément à ces niveaux-là. Il ne vise pas directement la tumeur, mais le milieu dans lequel elle se développe. C’est là que réside tout son intérêt.
1) Réduction de l’insulinémie et des signaux de croissance
Chaque pic de sucre s’accompagne d’une élévation d’insuline, hormone anabolique qui favorise non seulement le stockage, mais aussi la croissance cellulaire. Or, beaucoup de tumeurs surexpriment les récepteurs à l’insuline et à l’IGF-1 (Insulin-like Growth Factor 1).
En stabilisant la glycémie et en abaissant l’insulinémie, le régime cétogène limite l’activation de ces voies de croissance, notamment mTOR et PI3K/Akt, connues pour stimuler la prolifération tumorale et réduire l’apoptose (mort programmée des cellules anormales).
Ce n’est donc pas seulement une question de sucre, mais de signal biologique : moins d’insuline, c’est moins d’instructions données à la tumeur pour croître.
2) Privation énergétique sélective
Les cellules cancéreuses, du fait de leur altération mitochondriale, ne peuvent pas métaboliser efficacement les graisses ni les corps cétoniques. Leur survie dépend donc du glucose et de la glutamine.
En abaissant le glucose circulant, le cétogène place ces cellules dans un stress énergétique. Certaines études montrent que cette restriction peut ralentir leur prolifération, voire induire une sensibilité accrue à d’autres traitements.
Ce n’est pas une famine généralisée, mais un filtrage métabolique : les cellules saines s’adaptent, les cellules tumorales, elles, peinent à suivre.
3) Soutien mitochondrial et renforcement des cellules saines
Les corps cétoniques ne servent pas qu’à nourrir : ils améliorent aussi la fonction mitochondriale, réduisent la production de radicaux libres et stabilisent les membranes cellulaires.
Les cellules saines gagnent ainsi en résistance face au stress oxydatif induit par la chimiothérapie ou la radiothérapie. Ce renforcement du métabolisme énergétique “normal” participe à la meilleure tolérance observée chez certaines personnes sous cétogène pendant leurs traitements.
4) Potentialisation des traitements conventionnels
Plusieurs travaux ont montré que le régime cétogène peut améliorer la sensibilité des cellules cancéreuses à la chimiothérapie, à la radiothérapie et même à certaines thérapies ciblées.
L’hypothèse est que la restriction glucidique et la baisse d’insuline réduisent les capacités de réparation et de résistance des cellules tumorales, tout en épargnant les cellules saines qui fonctionnent alors en mode “cétonique”.
Dans ce contexte, le cétogène n’est pas un traitement parallèle, mais un modulateur métabolique qui rend les thérapies plus sélectives et potentiellement plus efficaces.
5) Changement de terrain et effet systémique
Peut-être l’aspect le plus intéressant : au-delà du métabolisme des sucres, le cétogène agit sur tout un écosystème.
Il diminue les marqueurs inflammatoires (CRP, TNF-α, IL-6), améliore la sensibilité à l’insuline, régule les signaux hormonaux, stabilise le microbiote et favorise une production d’énergie plus propre, avec moins de déchets oxydatifs.
En somme, il transforme le terrain : moins d’inflammation, moins d’acidité, moins de signaux de croissance anarchiques. Un organisme plus cohérent sur le plan énergétique devient mécaniquement un environnement moins propice à la dérive cancéreuse.
6) Ce que la recherche montre… et ce qu’elle ne montre pas encore
Plusieurs équipes, notamment en Allemagne, aux États-Unis et en Suisse, intègrent désormais le régime cétogène dans des protocoles de soins intégratifs.
Les études restent encore limitées, souvent sur de petits effectifs, mais elles montrent des résultats encourageants : meilleure qualité de vie, moindre perte de poids, amélioration de la tolérance aux traitements, et dans certains cas, ralentissement de la progression tumorale.
Cependant, il faut rester prudent : toutes les tumeurs ne réagissent pas de la même manière, certaines pouvant même s’adapter partiellement à la cétose ou utiliser d’autres substrats énergétiques. C’est donc une approche qui demande rigueur et accompagnement.
Le régime cétogène ne s’improvise pas. Mal conduit, il peut entraîner des déséquilibres électrolytiques, une fatigue excessive, une fonte musculaire ou des troubles digestifs.
Il nécessite un suivi attentif, des ajustements progressifs, et surtout une compréhension fine du métabolisme de la personne.
Attention au paradoxe : le régime cétogène pourrait stimuler les métastases malgré son effet anti-tumoral initial, via un mécanisme transcriptionnel inattendu
On vient de voir l’intérêt du régime cétogène dans la lutte contre le cancer : il réside dans sa capacité à contrecarrer l’effet Warburg. En diminuant la disponibilité du glucose (la principale source d’énergie utilisée par les cellules cancéreuses via la glycolyse) le régime les prive d’énergie. De plus, il réduit les niveaux d’insuline et de facteurs de croissance analogues à l’insuline, qui peuvent accélérer la croissance tumorale.
Cependant, une étude (11) révèle un rôle inattendu et paradoxal du régime cétogène chez la souris (#STOPexpérimentationAnimale) : bien qu’il supprime la croissance de la tumeur primaire, il a la capacité de promouvoir le potentiel métastatique des cellules cancéreuses. Les métastases étant la cause principale de la mortalité liée au cancer, cette découverte soulève un risque potentiel pour la santé des patients atteints de cancer.
Pour illustrer ce mécanisme paradoxal, imaginez le régime cétogène comme un outil d’assainissement municipal : il nettoie efficacement la rue principale (la tumeur primaire). Cependant, en forçant les débris et les nutriments de la rue principale à se déplacer, il active accidentellement un réseau souterrain dormant (le complexe BACH1-ATF4 que je vais vous expliquer ci-dessous), transformant ces débris en « cellules d’invasion » plus mobiles qui se propagent rapidement dans les banlieues (les métastases). Pour que le nettoyage soit totalement sûr, il faut non seulement nettoyer la rue principale, mais aussi bloquer ce réseau souterrain.
Bon maintenant je pars un peu plus en détail dans l’étude en question afin de vous décrire exactement ce qu’elle met en avant. Les chercheurs ont observé une augmentation marquée du nombre de nodules métastatiques dans les poumons des souris soumises au régime cétogène, comparées aux souris sous régime normal. Ce phénomène a été observé dans différents modèles de cancer du sein, ainsi que dans un modèle de sarcome.
Alors pourquoi le régime cetogène, en affamant la tumeur, augmente-t-il la métastase ? La réponse réside dans un programme génétique de stress cellulaire.
Le régime cétogène crée un environnement de privation de glucose dans le corps. Ce stress nutritionnel provoque l’augmentation d’une protéine spécifique appelée ATF4 (Activating transcription factor 4), connue pour sa réponse au stress. Cette protéine ATF4 interagit directement avec une autre protéine appelée BACH1 (BTB domain and CNC homolog 1). BACH1 est déjà connu pour être un facteur de transcription qui favorise la métastase dans le cancer du sein.
En interagissant, le complexe BACH1-ATF4 devient beaucoup plus actif. Il est recruté sur les promoteurs de gènes qui aident les cellules cancéreuses à se déplacer. Il augmente ainsi l’expression de cibles pro-métastatiques, comme la protéine CEMIP, qui est cruciale pour la migration cellulaire et qui est associée à une survie globale réduite chez les patients.
En d’autres termes, le régime cétogène provoque une pénurie de glucose qui, en cascade, active un interrupteur de migration dans les cellules cancéreuses via le complexe BACH1-ATF4, rendant le cancer plus agressif.
Donc vous l’aurez compris : la prudence est nécessaire ! L‘effet du régime cétogène sur le cancer est à double tranchant. L’effet de promotion des métastases est complètement aboli si la protéine clé BACH1 est bloquée (par épuisement génétique ou par des inhibiteurs).
Ces données soulignent un risque potentiel pour la santé des patients. Il pourrait être plus efficace de combiner l’utilisation du régime cétogène avec des stratégies visant à inhiber l’activité de BACH1 afin de conserver l’effet bénéfique de suppression de la croissance tumorale sans amplifier le risque de métastase.
Second warning: c’est la seule étude à ce jour qui mentionne cet effet… à creuser donc…
Mon retour du terrain
Dans mes accompagnements, certaines personnes choisissent de suivre un régime cétogène (nous en discutons longuement au préalable, l’équipe médicale est informée, je n’impose rien, les personnes ont décidé elles-mêmes avant de venir me consulter qu’elles testeraient le régime céto).
Globalement les retours sont assez positifs, sur des personnes avec un poids de forme (contre-indiqué si dénutrition et caxécie) : moins de fatigue, moins de brouillard mental, plus d’énergie, moins d’effets secondaires nauséeux.
Le régime cétogène n’est pas “contre” la médecine conventionnelle, il la complète. C’est un outil métabolique puissant, qui ne correspond pas à tout le monde, qui doit être décidé avec finesse, au cas par cas, en discussion avec son oncologue et son équipe médicale. Si une perte de poids est déjà présente, il n’est souvent pas adapté. Je ne suis jamais à l’initiative de la décision, mais je respecte ce choix s’il est fait correctement et j’apprends avec les personnes que j’accompagne sur les bénéfices et les risques potentiels de ce régime. D’où mon article aujourd’hui. Pour que chacun puisse décider en tout état de cause, car notre corps nous appartient. Nous avons besoin du maximum d’informations, de vulgarisation et d’aide à un choix éclairé dans notre suivi médical.
Précision pratique : comment fonctionne un glucomètre-cétomètre ?
Afin de savoir si vous êtes vraiment en cétogène (et donc en cétose car vous produisez des corps cétoniques mesurables), il faut investir dans un petit appareil: le glucomètre-cétomètre qui est un petit dispositif médical permettant de mesurer directement, à partir d’une goutte de sang capillaire, deux données essentielles : la glycémie (taux de glucose) et la cétonémie (taux de corps cétoniques). Ces deux paramètres donnent une image précise de votre état métabolique, particulièrement utile lorsqu’on suit un régime cétogène ou qu’on souhaite simplement comprendre comment son corps utilise l’énergie.
Le fonctionnement est simple :
- Une micro-piqûre au doigt à l’aide d’un autopiqueur permet d’obtenir une goutte de sang.
- Celle-ci est déposée sur une bandelette de test spécifique : l’une pour le glucose, l’autre pour les corps cétoniques.
- Le lecteur reconnaît automatiquement le type de bandelette et analyse la réaction électrochimique qui se produit : chaque molécule de glucose ou de bêta-hydroxybutyrate (le principal corps cétonique circulant) génère un signal électrique proportionnel à sa concentration.
- Le résultat s’affiche en quelques secondes à l’écran, exprimé en mmol/L.
Pour être considéré comme “en cétose”, le taux de cétones sanguines se situe généralement entre 0,5 et 3,0 mmol/L. Une glycémie stable (autour de 4 à 5 mmol/L) associée à une cétonémie suffisante traduit une bonne adaptation métabolique.
Ces appareils permettent ainsi un suivi autonome précis et rigoureux.
Concernant les bandelettes urinaires : oui elles marchent pour savoir si vous êtes bien en cétose au bout de 3 jours. Elles sont néanmoins moins précises. Mais cela peut être suffisant : avoir un taux de cétones moyen (couleurs du milieu des bandelettes) permet de ressentir moins d’effets secondaires des traitements. Cela permet de se passer du glucomètre-cétomètre.
Pour rappel : je ne suis ni médecin, ni pharmacien. Un conseil en herboristerie ou naturopathie ne remplacera jamais un avis médical. Ne suivez jamais les conseils d’un praticien vous recommandant d’arrêter vos traitements.
Vous pouvez télécharger mon PDF gratuit sur l’accompagnement en cancérologie ici.
Références régime cétogène et cancer
(1) Kalamian Miriam, Keto for Cancer. Ketogenic Metabolic Therapy as a Targeted Nutritional Strategy, Chelsea Green Publishing, White River Junction, Vermont, 2017.
(2) Kämmerer U (Pr), Schlatterer C (Dr), Knoll G (Dr), Le régime cétogène contre le cancer, Thierry Souccar Editions, 2014.
(4) Talib WH, Mahmod AI, Kamal A, Rashid HM, Alashqar AMD, Khater S, Jamal D, Waly M. Ketogenic Diet in Cancer Prevention and Therapy: Molecular Targets and Therapeutic Opportunities. Curr Issues Mol Biol. 2021 Jul 3;43(2):558-589. doi: 10.3390/cimb43020042. PMID: 34287243; PMCID: PMC8928964.
(5) Jang J, Kim SR, Lee JE, Lee S, Son HJ, Choe W, Yoon KS, Kim SS, Yeo EJ, Kang I. Molecular Mechanisms of Neuroprotection by Ketone Bodies and Ketogenic Diet in Cerebral Ischemia and Neurodegenerative Diseases. Int J Mol Sci. 2023 Dec 21;25(1):124. doi: 10.3390/ijms25010124. PMID: 38203294; PMCID: PMC10779133.
(6) Wallace MA, Aguirre NW, Marcotte GR, Marshall AG, Baehr LM, Hughes DC, Hamilton KL, Roberts MN, Lopez-Dominguez JA, Miller BF, Ramsey JJ, Baar K. The ketogenic diet preserves skeletal muscle with aging in mice. Aging Cell. 2021 Apr;20(4):e13322. doi: 10.1111/acel.13322. Epub 2021 Mar 6. PMID: 33675103; PMCID: PMC8045940.
(7) Nencioni A, Caffa I, Cortellino S, Longo VD. Fasting and cancer: molecular mechanisms and clinical application. Nat Rev Cancer. 2018 Nov;18(11):707-719. doi: 10.1038/s41568-018-0061-0. PMID: 30327499; PMCID: PMC6938162.
(8) Jang J, Kim SR, Lee JE, Lee S, Son HJ, Choe W, Yoon KS, Kim SS, Yeo EJ, Kang I. Molecular Mechanisms of Neuroprotection by Ketone Bodies and Ketogenic Diet in Cerebral Ischemia and Neurodegenerative Diseases. Int J Mol Sci. 2023 Dec 21;25(1):124. doi: 10.3390/ijms25010124. PMID: 38203294; PMCID: PMC10779133.
(9) Martinez-Outschoorn UE, Lin Z, Whitaker-Menezes D, Howell A, Sotgia F, Lisanti MP. Ketone body utilization drives tumor growth and metastasis. Cell Cycle. 2012 Nov 1;11(21):3964-71. doi: 10.4161/cc.22137. Epub 2012 Sep 19. PMID: 23082722; PMCID: PMC3507492.
(10) Acharya P, Acharya C, Thongprayoon C, Hansrivijit P, Kanduri SR, Kovvuru K, Medaura J, Vaitla P, Garcia Anton DF, Mekraksakit P, Pattharanitima P, Bathini T, Cheungpasitporn W. Incidence and Characteristics of Kidney Stones in Patients on Ketogenic Diet: A Systematic Review and Meta-Analysis. Diseases. 2021 May 25;9(2):39. doi: 10.3390/diseases9020039. PMID: 34070285; PMCID: PMC8161846.
(11) Su Z, Liu Y, Xia Z, Rustgi AK, Gu W. An unexpected role for the ketogenic diet in triggering tumor metastasis by modulating BACH1-mediated transcription. Sci Adv. 2024 Jun 7;10(23):eadm9481. doi: 10.1126/sciadv.adm9481. Epub 2024 Jun 5. PMID: 38838145; PMCID: PMC11152127.

